– L’Affranchissement d’une Mère –

S’il y a quelque chose d’exceptionnelle dans ma maison, c’est la lumière sublime qui inonde mon salon. Ce n’est pas franc sud, l’île de Montréal étant quadrillé en diagonale. Ce n’est pas franc ouest non plus, où de toute manière, le soleil trop bas se cache derrière les typiques plex de mon quartier. Je pourrais raconter mille et une anecdotes vécues sous ce soleil radiant d’après-midi. Je ne me lasse pas d’admirer cette lumière, encore drette-là en nettoyant ma tisane que je viens de renverser.

Ce jour-là ne fait pas exception. L’heure divine de la sieste arrive. Ce moment de pur silence, tu sais? Quand tout le monde s’endort en même temps et que tu vas acheter un 649. Le soleil encore chaud, de cet automne qui se prend pour un été. Ma mère s’assoit sur la chaise de sol, elle est même obligée de tirer le rideau, trop éblouie. Je lui sers une tisane et on savoure ce silence.

C’est rare que je partage un moment avec ma mère. Seules. À ne rien faire. Elle a bien des talents cette femme, mais pas celui de la farniente. C’est une travaillante qui a du cœur au ventre et qui te clenche des projets comme personne d’autre. Mais pas à ce moment-là, on jase en se délectant d’une délicieuse tarte au sucre aux poires. Plaisir coupable qu’elle m’a amené.

J’écoute ma mère me raconter son excursion sur la côte-nord. Ses yeux brillent tellement. C’est surprenant considérant tout ce soleil dans mon salon. Je l’écoute et je sens qu’elle a un agenda. J’ai l’impression que c’est une discussion sérieuse, comme un rendez-vous du genre: faut qu’on se parle.

Ma mère m’annonce qu’elle déménage aux Grandes Bergeronnes.

Si tu sais pas c’est où, c’est normal, c’est loin. Vraiment loin. 6h30 de route de lointain. C’est quand même un choc d’entendre ça, parce que je vois ma mère au moins 1 à 2 fois par semaine depuis mon entrée dans la maternité. Mon cœur se serre. Les enfants! Comment seront-ils à l’abri de mes pétages de coches? Qui va les cajoler quand je serais au boutte du boutte. Indisponible. Déjà qu’ils supportent à peine plus de 10 jours sans la voir. Avec raison.

Je ne sais pas si la panique s’est déversé sur mon visage comme dans mon cœur. Ça ne dure qu’une fraction de seconde. Il suffisait de la voir pour comprendre tout le bonheur émanant de ce projet. Un projet grandiose qui anime les tripes. Incroyable comme je la trouve belle, rayonnante. Ce n’est peut-être pas juste le soleil…

J’ai le vague sentiment qu’elle me demande la permission. Quelle genre de fille indigne je serais d’émettre la moindre opposition. Je suis bien partie vivre en Australie moi! Vas-y voir les baleines! Hiverner sous la neige, la vraie! Te faire fouetter la face au vent sur des plages assourdissantes! Vas profiter du silence, de la nature à l’état pur. Va prendre ta retraite de maternage. Vis ta vie!

Parce que ma mère est trop intense. Même à 3 heures de route, elle serait venue toutes les semaines. Je la comprends, les enfants c’est un peu une drogue. On les aime tellement, c’est dur de rester loin d’eux. Pourtant, on a besoin d’exister en tant qu’humaine aussi par petits bouts. Je trouve ça tellement beau de la voir s’investir dans un projet qui lui est propre. Pas pour ses enfants, pas pour sa famille ou ses amis. Vraiment pour elle.

Sa vie ne m’appartient pas. C’est déjà tout un privilège de pouvoir la partager, même de loin.

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